Chroniques du parc humain

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Le piège de Thucydide : considérations sur la guerre ukrainienne, I
clementgustin.substack.com

Le piège de Thucydide : considérations sur la guerre ukrainienne, I

Terre et mer, Athènes et Sparte, le cas ukrainien

Clément Gustin
Jun 20
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Le piège de Thucydide : considérations sur la guerre ukrainienne, I
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« On me demande souvent, comme à tous les autres historiens, quelles sont les “leçons de l’histoire”. À quoi je réponds ceci : la seule leçon que m’ait apprise l’étude du passé, c’est que ni les vainqueurs, ni les perdants ne le sont pour toujours. »

Ramachandra GUHA


Terre et mer : deux archétypes du pouvoir

En 1942, Carl Schmitt écrivait dans son livre Terre et mer que l’histoire mondiale était « l’histoire de la lutte des puissances maritimes contre les puissances continentales et des puissances continentales contre les puissances maritimes ». De cette vieille opposition géopolitique entre terre et mer, entre puissance fondée principalement sur l’élément terrestre ou l’élément marin, de nombreux exemples historiques en témoignent, dont l’un des archétypes est sans doute la lutte entre Athènes et Sparte au Ve siècle avant J-C. Nous pourrions également citer les guerres puniques entre Carthage et Rome ou la lutte pour l’hégémonie européenne entre l’Angleterre et la France, lors des guerres napoléoniennes. Mais aux yeux de Carl Schmitt, les deux guerres mondiales elles-mêmes — ou encore la Guerre froide —, au fond, n’étaient pas autre chose que cette bataille toujours répétée entre puissance terrestre et puissance maritime, dont l’enjeu fut bien souvent la domination de l’Europe.

On peut dire de ces deux formes de puissance qu’elles sont en partie le reflet de déterminations géographiques. L’Angleterre, par exemple, du fait qu’elle est une île, a toujours lié une relation particulière à la mer ; elle a développé au XIXe siècle un empire maritime à son service et a toujours empêché toute puissance continentale d’acquérir l’hégémonie sur l’Europe. La Russie, de son côté, est une immense plaine sans aucune barrière naturelle, avec peu d’accès aux mers ; elle a donc, au cours de son histoire, conquis d’est en ouest le maximum d’espace possible pour créer des zones tampon entre le reste du monde et sa capitale.

En fonction de leur position géographique, de leur topographie, de leurs contraintes et atouts naturels, les États sont donc la plupart du temps voués à se tourner plutôt vers le continent ou bien vers le grand large. Mais cette opposition ne se limite pas à ces seuls aspects matériels — tels que l’accès aux côtes ou non, le relief, la taille des pays, leur isolement relatif, les ressources dont ils disposent, etc. Elle englobe également deux visions antagonistes du monde : deux manières de l’habiter, deux manières de le conquérir. Deux manières pour les États de développer leur puissance, de défendre leurs intérêts stratégiques et leur zone d’influence : cet antagonisme exprime donc aussi deux modèles de sociétés aux valeurs opposées.

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